Thursday, February 28, 2013


Le projet orthodoxe de nouveau en lice
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Scarlett HADDAD | 01/03/2013

Éclairage
Depuis le retrait du projet du président de la Chambre pour cause, selon ses propres termes, « d’intentions malveillantes », le projet orthodoxe est revenu sur le devant de la scène. Selon un député, il a déjà fait 65 % du chemin et il ne reste plus que le vote de l’Assemblée pour qu’il devienne la nouvelle loi électorale. Étonnant pour un projet auquel au départ personne ne croyait, sauf celui qui l’a lancé, l’ancien vice-président de la Chambre Élie Ferzli.
Alors qu’il semble désormais seul en lice, avec celui du « Liban circonscription unique en concomitance avec l’élection d’un Sénat sur une base confessionnelle », il continue à susciter des interrogations sur ses motivations profondes et sur ses chances réelles d’arriver à l’Assemblée, puisque certains le considèrent comme une manœuvre politique.
À ce sujet, Élie Ferzli, qui en revendique donc la paternité, refuse qu’on qualifie ce projet « de coup de maître politique ». Tout en reconnaissant qu’il ne l’a pas élaboré, il révèle que l’idée a commencé à germer après les élections de 2009, lorsqu’il a compris que la confiscation des sièges parlementaires chrétiens était une pratique ordinaire de la vie politique libanaise. Celle-ci n’avait donc rien à voir avec la tutelle syrienne et elle n’était pas le fruit d’un moment d’émotion après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, puisqu’elle s’est perpétuée en 2009, sans la moindre justification.

D’ailleurs, les élections de 2009 ont été très instructives à plus d’un niveau. Elles ont montré l’étendue du glissement du Liban vers des entités confessionnelles, chacune ayant, en quelque sorte, ses frontières, ses médias, ses armes et même ses relations internationales propres. Cette évolution s’accompagnait d’un glissement similaire dans la région, notamment en Irak après l’éviction de Saddam Hussein, au Yémen (divisé en trois entités Hadramout, Sanaa et le Sud sous contrôle houthi), au Soudan (divisé en deux) et même en Turquie, où après 80 ans de laïcité, l’islam est redevenu la religion dominante. D’ailleurs, au Liban, chaque communauté commençait à parler ouvertement de son « particularisme ». Walid Joumblatt a évoqué, à partir de Baabda, celui des druzes, et alors qu’il y a huit députés druzes sur 128, le chef du PSP a, en plus, huit députés chrétiens. Même chose pour Dar el-Fatwa et même le secrétaire général du Hezbollah a souvent parlé de la « particularité chiite » et ainsi de suite. Au point que sur les 64 députés chrétiens, près de 30 seulement étaient élus avec des voix chrétiennes. C’est d’ailleurs ce qui a fait dire au président de la Chambre Nabih Berry que le projet orthodoxe est un résultat, non une cause. Il est donc la conséquence de plusieurs années de frustration chrétienne et il est le fruit d’un lobbying intensif mené au cours des quatre dernières années par l’ancien vice-président de la Chambre auprès des différentes instances politiques et religieuses. C’est ainsi qu’il a réussi à convaincre d’abord des religieux chrétiens, ainsi que le CPL de Michel Aoun, mais aussi les Kataëb d’Amine Gemayel et les Forces libanaises de Samir Geagea.

Des partis musulmans, comme le Hezbollah et Amal, qui ont choisi d’appuyer leurs alliés chrétiens se sont aussi ralliés à sa cause. Sans oublier certaines figures sunnites. Les défenseurs du projet affirment qu’il ne s’agit nullement d’une régression confessionnelle et d’un repli communautaire, puisque ce projet aboutit à l’effritement des communautés de l’intérieur en introduisant le mode de scrutin proportionnel qui permet d’en finir avec les grands blocs au sein de chaque communauté. Ce projet introduit trois concepts nouveaux dans les élections législatives libanaises : le Liban est considéré comme une seule circonscription (on en finit ainsi avec les découpages politiques parfois tirés par les cheveux), les élections se déroulent au sein de chaque communauté et le mode de scrutin est proportionnel. Une fois le Parlement élu, les députés des différentes communautés devront nouer des alliances transconfessionnelles. Ce projet serait donc ainsi la concrétisation de la période transitoire nécessaire avant de passer au concept de citoyenneté. Mais pour l’instant, estiment les défenseurs du projet, les chrétiens ne peuvent pas être les seuls à avoir une approche laïque, alors qu’autour d’eux, les différents groupes donnent la priorité au communautarisme. C’est dans ce sens que ce projet permet, aux yeux de ses défenseurs, de redéfinir le rôle des chrétiens dans le système politique libanais sous le parapluie de la Constitution et sur base de l’accord de Taëf.

En même temps, sur le plan régional, il règle le problème des minorités qui se pose actuellement avec beaucoup d’acuité, tout en protégeant la région de la partition et de l’effritement. Par exemple, en Égypte, c’est une formule de ce genre qui peut régler le problème des 14 millions de coptes dont, sous l’ancien régime, les députés étaient nommés par le raïs... On pourrait dresser une liste des problèmes minoritaires dans la région. Mais avant d’aller aussi loin, Élie Ferzli rappelle par exemple que les frustrations peuvent mener à la guerre. C’est selon lui ce qui s’est passé en 1958 et en 1975 et il faut éviter une réédition de ces expériences tragiques.

Est-ce à dire que le projet orthodoxe finira bientôt à l’Assemblée ? Pour l’instant, Michel Aoun a lancé l’équation suivante : c’est soit ce projet, soit l’adoption du Liban comme circonscription unique avec un mode de scrutin proportionnel. Il rejoint en quelque sorte le président de la Chambre qui propose soit le projet orthodoxe, soit l’application de l’article 22 de la Constitution consacrée à l’élection du Parlement sur une base nationale et celle d’un Sénat sur une base confessionnelle. La décision devrait se préciser au cours des prochaines semaines si les élections ont lieu à la date prévue le 7 juin. À moins qu’en réalité le report soit l’objectif caché des parties locales, qui attendent pour l’annoncer de trouver le bon scénario...
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